La soirée avait commencé exactement comme Tove l'avait prédit. Prédit, non par un quelconque moyen divinatoire, mais parce que toutes ses soirées commençaient comme ça. Les bouteilles d'alcool ramenées en douce que les profs faisaient semblant de ne pas voir, les conversations stupides avec tout un chacun, et les « C'EST NOTRE CHANSON » hurlés à l'unisson avec Hippolyte à chaque fois qu'ils reconnaissaient les premières notes d'une mélodie, avant d'aller danser comme des furies. Peut-être qu'il passait une excellente soirée. Même si il regrettait de ne pas avoir amené un pantalon de rechange, et qu'il en avait marre d'expliquer patiemment à tous les nés sorciers ce que représentait leur costume.
Et puis paf. Alcool.
Tove et l'alcool, ça n'avait jamais été simple. Disons qu'il le tenait assez mal, pour dire le moins. Et il le savait, oh que oui. Seulement, il était incapable de refuser. Incapable de résister au challenge, aux verres qu'Hippolyte ne cessait de lui glisser entre les doigts. Et ni une ni deux, il était fini. Et Tove bourré, c'était encore pire que Tove pas bourré : prenez les crises existentielles, prenez le drama, multipliez par le nombre de verres. Et rajoutez des larmes.
Ça donne à peu près le préfet le moins crédible du monde, en train de pleurnicher sur l'épaule de sa charmante cavalière.
« Hippolyyyyyte » geignement sorti tout droit des tréfonds de l'enfer « Je passe la pire soirée de ma vie. Ju-jules danse avec Bill ce petit bâtard de traître, je le HAIS en plus on avait dit pas les quatrième année, il m'a menti et puis le mec de serpentard là bas qui est trop beau il est venu avec une fille et je peux rien faire elle a de trop beaux sourcils. Genre elle c'est un 10/10 et moi je suis maximum un 7 et je sais qu'elle le fait exprès c'est un complot des illuminati pour ruiner ma vie, je vais finir seul et moche et je ferai plus jamais l'amouuuur. » chiale, chiale, exhale. « En plus mon verre est tout vide et j'ai mal aux pieds et j'en ai trop marre. »
Classique.
Hippolyte devait avoir l'habitude. C'est pourquoi entre deux incohérences de sa part sur le lien entre les aliens et Theodore Nott, elle l'expédia le plus loin possible sans oublier de remplir son verre.
Et puis après, il se souvient plus.
Il a dû danser, non ?
En tout cas, ses pieds lui font mal.
Il a la gorge sèche, aussi. Un vague mal de crane. Les paupières lourdes et collantes.
Les toilettes de fortune installées près du lac pour le bal sont très mal éclairées. Après s'être passé de l'eau sur la gueule, il s'examine, à la lueur des néons. Quand il pleure, il est terriblement moche, c'est un fait avéré. Son regard glisse sur les cernes, les yeux rougis et les joues humides. Descend sur une trace rouge sur sa nuque (il flippe, un coup, il s'est blessé ? mais c'est probablement un suçon, en fait), visible depuis la lune. Bordel. Il aurait vraiment du prendre un pantalon de rechange.
Il sort du bâtiment en vacillant. Erre sans but autour de lui. Il s'est un peu éloigné de la fête, quelques lumières se reflètent sur la surface lisse du lac et on n'entend plus que le rythme lointain de la musique. D'une certaine manière, ça le calme, un peu. Bam bam bam, comme si les battements erratiques de son cœur se calquaient sur la basse qui résonne dans son corps. Bam bam.
Il y a une silhouette pas loin. Peut-être que c'est la démarche un peu voûtée, les étoiles en fond ou la solitude qui lui colle à la peau, mais il la reconnaît tout de suite.
« Teddy », il bafouille.
Élan d'affection, puis doute, confusion, il ne sait plus si il doit être content ou fâché. Se rappelle plus. Et puis il se rend compte que Theodore a tué un bébé dragon pour faire son déguisement.
Alors il renifle, alors que d'autres larmes silencieuses coulent sur ses joues.