J’avais les mains dans la terre, comme d’habitude, quand le ciel se voila. Je détachais donc mon regard de la pousse d’arbre que j’étais entrain de replanter loin des pieds assassins des élèves, pour constater qu’il allait bientôt se mettre à pleuvoir. Avec un lourd soupir, je tassais un peu la terre et frottais mes mains l’une contre l’autre, avant d’épousseter ma robe de sorcière. Bon, pour une fois je ne m’étais pas trop salie! Je me relevais donc souplement et me dirigeais vers le château à pas vifs.

Machinalement, alors que je marchais, je passais une main sur le côté gauche de mon crâne, où j’avais tondu mes magnifiques cheveux rouges. J’adorais cette coupe, et cette couleur! Les professeurs étaient moins d’accord mais je pouvais toujours rabattre une partie de mon épaisse crinière pour masquer un peu la chose. Je songeais qu’il faudrait bientôt que je les raccourcisses quand j’aperçus quelqu’un d’allongé dans l’herbe. Surprise, je m’arrêtais, une main encore dans mes cheveux, et l’observais. C’était un garçon, et il ne bougeait pas. Il ne s’était quand même pas endormi? Je levais le nez vers le ciel et poussais un léger grognement, avant de m’approcher. La pluie n’allait vraiment pas tarder et s’il dormait bel et bien, j’aurais des regrets de le laisser là-dessous.

Arrivée à sa hauteur, je pris une seconde pour le détailler et me rendis compte que oui, il piquait une sieste au milieu de la pelouse. Je songeais un instant à crier pour attirer son attention, mais ça serait carrément méchant. Alors au lieu de ça, je m’accroupis à côté de lui et lui secouait doucement le bras.

« Il faut que tu te réveilles, il va pleuvoir! »

Je me reculais un peu, pour lui laisser de l’espace, et l’observais de mes yeux dorés aussi (peu) naturels que mes cheveux. Je ne doutais pas que s’il dormait dans l’herbe, la pluie ne devait pas trop le déranger, mais se réveiller sous la pluie me semblait particulièrement désagréable.

La matinée avait été éreintante pour le jeune Serdaigle : qui avait bien pu penser qu'infliger cinq heures d'Histoire de la Magie d'affilée était une bonne idée? Le temps était passé lentement et Liam n'avait pas écouté la moitié du cours, bien trop occupé à regarder le calmar géant se dorer les tentacules par cette belle journée. Je vais te tenir compagnie cet après-midi, je crois bien. Aucune leçon ne le retiendrait ce jour-là et aucun devoir ne l'empêcherait d'aller nager un peu avec le monstre marin.
Deux heures plus tard, un bout de fromage dans la main, un morceau de pain dans la bouche, il s'était rendu au bord du lac. Le calmar s'était retiré sous l'eau, mais Liam savait qu'il ne résisterait pas à la tentation de venir jouer avec lui quand il irait se baigner. A les voir, on ne pouvait deviner qui s'amusait le plus quand le céphalopode envoyait le grand gaillard dans les airs ; Liam redoublait d'imagination dans les figures exécutées pour retomber dans l'eau.

Quarante minutes de jeu plus tard, Liam sortit de l'eau, épuisé, et se laissa choir non loin de la rive. Le soleil réchauffait agréablement son torse nu et l'herbe chatouillait légèrement sa peau. Il s'endormit presque aussitôt.

« Il faut que tu te réveilles, il va pleuvoir! »

Liam s'éveilla brutalement, quittant un rêve fort plaisant. Avec une souplesse étonnante pour sa carrure, il se releva d'un bond et toisa la personne qui avait osé le tirer de son sommeil.

- Non mais ça va pas de venir déranger les gens comme ça? Enfin, je dormais pas, mais tu m'as effrayé! mentit-il, gêné de s'être laissé surprendre de la sorte.

Il prit un instant pour regarder correctement la personne qui se trouvait en face de lui : son visage ne lui disait rien, mais ses cheveux... Il les avait déjà vus, parmi la foule des élèves. Il plissa légèrement les paupières et fronça les sourcils.

- Et puis, qu'est-ce que tu fais encore dehors, s'il va pleuvoir, comme tu le dis? demanda-t-il en levant les yeux vers un ciel assombri.

Le jeune homme éprouvait une difficulté immense à se débarrasser de son agacement ; ce rêve était parfait... et cette jeune punk couverte de terre n'avait pas eu la présence d'esprit de le laisser tranquille.

- T'es sortie de ton terrier pour observer la météo?

Wow! J’avais sursauté, et reculé d’un grand pas, lorsqu’il s’était levé d’un bond. Ce qu’il était grand! Il me reprocha d’être venue le déranger et de l’avoir effrayé, et je sentis mes joues se mettre à chauffer. A priori, j’étais maintenant aussi rouge que mes cheveux. Je me raclais la gorge, avant de bredouiller des excuses.

« Je... Je suis désolée, je... je pensais pas t’effrayer. »

J’esquissais une grimace, et passais une main sur ma nuque alors qu’il levait les yeux vers le ciel et... Et me reproche d’être encore dehors? Je plissais le nez, mais décidais de ne pas relever. Enfin, ce fut jusqu’à ce qu’il me demande si j’étais sortie de mon terrier. Je pris une grande inspiration, bien décidée à ne pas me laisser faire.

« Eh bien dans ce cas excuse-moi de ne pas t’avoir laissé sous la pluie! La prochaine fois, je filerais directement au château, sans prendre la peine de faire le moindre centimètre de détour pour t’éviter la douche! »

Il me fallut quelques instants de pause pour pouvoir respirer, mais je n’avais pas encore fini. Mes yeux lançaient des éclairs, et j’étais probablement entrain de m’emporter plus que ce qu’il ne fallait, mais je n’allais pas me laisser marcher sur les pieds par un grand costaud qui râlait parce que j’avais interrompu sa sieste.

« Et non, je ne suis pas sortie de mon terrier, je faisais du jardinage! Reprends ce que tu étais en train de faire sous la pluie si ça t’amuse, mais moi je rentre! »

Et là dessus, je m’éloignais à grands pas, en grommelant à propos des gens qu’on voulait aider et qui se révélaient être de sacrés ingrats. C’était probablement pour ça que mon père n’aidait jamais personne. Et que je ferais mieux de m’en tenir à mes amis proches!

« Ca m’apprendra, tiens! La prochaine fois j’le laisse se faire tremper, il chopera la grippe et ça sera bien fait! »

Pas de doutes là dessus : je suis une râleuse. En même temps, je préfère râler plutôt que de distribuer des claques ou des coups de poing sur le nez.

Le ton de reproche qu'avait pris la jeune fille remit les idées de Liam en place : de quoi était-elle fautive, sinon de l'avoir effrayé sans le vouloir? La mère du jeune homme devait avoir raison, il se transformait bel et bien en ours dès qu'on perturbait sa tranquillité. Comment cette demoiselle aurait-elle bien pu le deviner?
Il croisa son regard, et se demanda si elle tentait de l'assassiner grâce à un sortilège informulé à cet instant même.

- Je euh...

Mais il n'eut pas le temps de continuer, elle s'était détournée de lui dans un majestueux mouvement de tissu et s'éloignait déjà.
Liam la rattrapa sans difficulté, malgré sa détermination apparente à mettre rapidement le plus de distance possible entre elle et lui. Il lui saisit doucement le poignet, espérant la forcer à s'arrêter et le regarder.

- Ecoute, je suis désolé. Tu m'as surpris endormi, et j'ai horreur de ça. Je ne supporte pas qu'on me réveille, ni qu'on me trouve en position vulnérable. Il marqua une pause pour s'assurer qu'elle l'écoutait encore et reprit. C'était très gentil de ta part de vouloir me prévenir et je suis navré d'avoir réagi comme le gros nigaud que je suis.

Il relâcha son poignet et tenta un sourire gêné et se passa une main dans les cheveux, faisant tinter les clochettes de sa tresse. Il prit soudain conscience qu'il était toujours en maillot de bain et que le temps se rafraîchissait ; le vent s'était levé et soufflait avec force.

- Si ça ne te dérange pas, je vais te suivre pour qu'on se mette à l'abri. Je m'appelle Liam, au fait... On a déjà fait mieux comme première rencontre, n'est-ce pas? ajouta-t-il d'un ton d'excuse.

Je ne m’attendais pas à ce qu’il me rattrape. Aussi, lorsque je sentis une main se refermer sur mon poignet, je me stoppais net et me retournais aussi sec. Durant un très court instant, j’avais été véritablement terrifiée. Mais dès que j’avais reconnu le malotru de la minute d’avant, mon coeur s’était remis à battre. J’inspirais profondément, fronçant légèrement les sourcils quand il commença à s’excuser. Qui l’aurait cru?

« Tu viens de me foutre la trouille de ma vie, alors on va dire que je te pardonne et qu’on est quittes! »

Il me lâcha le poignet et je fus surprise de voir son sourire gêné. Une seconde plus tard, j’avais le même, alors que je me frottais la nuque. Un tintement se fit entendre, mais je ne parvins pas à savoir d’où ça venait. Je cherchais d’ailleurs quand une bourrasque me tira un frisson, et une grimace en songeant qu’il devait avoir froid vu sa tenue.

« Meredith, enchantée Liam! C’est sûr qu’on a fait mieux, mais on a fait pire aussi! Quant à ce que tu me suives... Ma foi, de toute façon il n’y a pas 36 chemins vers le château, alors autant faire la route ensemble! »

Après tout, un peu de compagnie ne pouvait pas me faire de tort. J’étais souvent seule, et il ne paraissait pas du genre à poser des questions indiscrètes. En plus, on avait déjà failli s’étriper, alors qu’est-ce que je risquais à le laisser approcher? Pas grand chose à priori! Je me remis donc à avancer, plus calmement cette fois-ci, jusqu’à ce qu’une goutte s’écrase sur ma joue.

« Noooon! Mes cheveux! »

Couinais-je, en songeant que je les avais lavés ce matin même, et qu’en plus ils avaient été particulièrement pénibles à coiffer. Je n’avais pas envie de recommencer ce soir ou demain matin! Alors j’attrapais la grande main de Liam dans la mienne et je me mis à courir, dans l’espoir d’échapper à l’averse qui était entrain de se déclencher. Pourquoi cette maudite cape n’avait-elle pas de capuche, hein? J’en voulais une nouvelle, qui pourrait me protéger de la pluie. Enfin capuche ou pas capuche, ça n’aurait rien changé pour le grand costaud qui se trouvait être en maillot de bain.

Coup de chance, ou plus vraisemblablement parce que j’avais piqué le sprint de ma vie, je parvins à nous faire arriver sous le porche de la grande porte d’entrée juste avant qu’il ne se mette à pleuvoir pour de bon. J’étais un peu mouillée, mais rien de grave! C’est alors que je me rendis compte que je tenais la main de Liam. Et ce, depuis un certain temps. Surprise de ce geste dont je ne m’étais pas aperçue, et qui était loin d’être dans mes habitudes, je le lâchais précipitamment.

« Euh... Désolée! Je t’ai pas arraché le bras au moins? »

Encore qu’avec la taille de ses jambes, je doutais fort qu’il ait eut du mal à me suivre. Je l’avais peut-être même ralenti. N’empêche que je n’en revenais pas de lui avoir tenu la main tout ce temps. Qu’est-ce qu’il m’avait prit?!

Liam fut soulagé que Meredith accepte ses excuses et il lui emboîta le pas quand elle se remit en route. Quelques gouttes l'avaient déjà touché et, malgré la chaleur de la journée, la pluie avait tout de glacial. Pourquoi n'avait-il pas pris ne serait-ce que sa cape? Il tenta de camoufler le frisson qui le parcourut et fut soudain attiré en avant. Il avait entendu Meredith s'exclamer, mais il ne l'avait pas vue se saisir de sa main. Elle l'entraînait dans sa course folle pour échapper à l'averse et il n'eut pas le temps d'émettre une quelconque objection.

Ils parvinrent sous le porche de la Grande Porte en trois enjambées ; juste à temps pour éviter le déluge. Liam regarda la jeune fille aux cheveux rouges : elle était un peu mouillée, mais ne semblait pas s'en formaliser. Par contre, lui, était couvert de chair de poule et ses longs cheveux dégouttant légèrement dans son dos n'amélioraient rien à son inconfort. La main du jeune homme retomba brutalement contre sa cuisse quand Meredith la relâcha.

« Euh... Désolée! Je t’ai pas arraché le bras au moins? »

Liam lui sourit du coin des lèvres en arquant son sourcil et la dévisagea quelques secondes avant de lui répondre.

- Mmh non, mais c'est bien aimable à toi de t'en inquiéter, il avait grand peine à ne pas se mettre à rire en repensant à la scène. J'ai essayé de ne pas te dépasser, sinon je crois que moi, j'aurais arraché le tien, la taquina-t-il. Merci, en tout cas, de t'être inquiétée de mon sort, les gens altruistes se font bien rares, ces derniers temps, complimenta-t-il avec son sourire le plus chaleureux.

Il se mit à s'agiter : il ne voulait pas montrer qu'il avait froid mais il éprouvait de plus en plus de difficulté à le masquer. Sur le point de se mettre à sautiller, il dut s'avouer vaincu.

- Bon eh bien... ce n'est pas que ta compagnie m'incommode - au contraire même, finalement, ajouta-t-il avec un hochement de tête sans la quitter des yeux, mais je crois que j'ai atteint les limites de ma tolérance au froid, là, il faudrait que je monte me changer, avoua-t-il avec un sourire d'excuse crispé.

Il ne savait pas comment quitter sa nouvelle connaissance sans paraître impoli ou trop amical. Liam croisa étroitement les bras autour de sa poitrine et planta son regard dans celui de Meredith, attendant qu'elle prenne la décision à sa place.

Ooooh! Un sourire! Je n’en avais pas vu beaucoup chez lui, mais il fallait dire que les circonstances n’avaient pas aidé jusque là. Je ne pus retenir un petit rire quand il mentionna la possibilité d’arracher MON bras. C’était vrai que vu sa carrure, je n’avais pas de mal à l’imaginer!

« Bah, c’est rien! »

Fis-je, un peu gênée, quand il me remercia pour m’être inquiétée pour lui. Ca ne m’arrivait pas souvent, les élans de gentillesse gratuite mais là... Je ne savais pas pourquoi, cela m’avait paru être la chose à faire. Et honnêtement je ne le regrettais pas, je me sentais étrangement à l’aise avec lui. C’est alors que je remarquais qu’il commençait à s’agiter, et me demandais pourquoi quand il répondit à la question que je n’avais pas posée : il avait froid. Je me sentis devenir toute blanche (enfin, encore plus que d’habitude quoi) et j’ouvris de grands yeux horrifiés alors que mes mains venaient se plaquer sur mes joues.

« Par la barbe de Merlin! Je suis désolée, Liam, je n’ai pas percuté! »

Je m’attendais à ce qu’il s’en aille tout de suite, mais il en bougea pas, se contentant de croiser ses bras musclés sur son torse musclé. Pitié, qu’il revienne avec une chemise!

« Mais qu’est-ce que tu attends? File, tu vas attraper froid! Si tu veux on peut se retrouver aux cuisines une fois qu’on sera secs, un thé devrait finir de nous réchauffer! Ca te tente? »

C’était presque plus une grimace qu’un sourire que je lui adressais. Je me sentais coupable de l’avoir forcé à rester dans cette entrée pleine du courants d’air alors qu’il était trempé et qu’il n’était presque pas habillé. Une fois qu’il m’eut donné sa réponse, je lui adressais un petit signe de la main et je tournais les talons pour rejoindre ma salle commune, ne voulant pas le retenir plus longtemps. Et puis moi aussi, je commençais à trouver qu’il faisait frais!


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