Si tu devais affronter un détraqueur
Toute ta vie tourne autour d'une image, l'image terrible de cheveux roux éparpillés sur le sol d'une chambre d'enfant. Arrière-plan ? Cris de gamins. Couleur dominante ? Rouge, rouge carmin. Ressenti ? Vide. Creux. Tu le sens, ce creux au fond de ta poitrine. Parce finalement, il n'y a que cela que tu sois encore capable de ressentir. Du vide. Une immensité pleine de rien, parce qu'il n'y a plus d’intérêt à tenter de remplir quoique ce soit. Rien d'autre sur ta rétine que les doigts croûteux de l'immonde créature sur lesquels se superposent les doigts fins, inanimés - froids - d'une Lily assassiné ; un peu par le Seigneur des Ténèbres, un peu par toi-même.
Et les cris de l'enfant ne s'arrêtent pas, ne s'arrêteront jamais, le décor seul change, pour montrer les morts, les morts qui te hantent, et qui t'accusent de tout ce dont tu n'as pas été capable de les sauver, de tout ce dans quoi tu les as embourbés. Sans le vouloir, tu voudrais leur dire ? Qu'importe, le résultat est le même. Le résultat est un homme trop maigre, dérisoirement doué pour faire mourir ceux qui l'entourent et survivre au milieu de ce champ de bataille. Cadavres hurlant de lancinantes complaintes que tu ne sais même pas reprendre joliment en cœur. Chute, chute dans la poussière, il n'est rien de plus doux que l'abandon. Un baiser, rien qu'un baiser et tout sera fini. Une sorte de rédemption : celle que tu ne mérites pas, celle que tu souhaites pourtant puisqu'il n'y plus que cela d'à peu près sain à souhaiter.
Tu titubes déjà, regarde. Tu es ridicule. Te revoilà môme, effrayé par papa et sa douce odeur de vin rance. Te revoilà gamin dans les bras d'une mère trop pale, trop maigre, avec trop de bleus qui courent tout le long de ses bras, un bleu qui n'est même pas joli comme le bleu de l'eau. C'est de l'aquarelle sur les bras de maman, mais le pinceau et sale et sali la peinture entière. Alors toi, tout petit dans ses bras, tu pleures, tu pleures le plus possible pour qu'elle puisse frotter ses bras, pour qu'elle puisse faire partir le sale.
Mais si toi tu titubes, maman, elle, elle chute tout à fait. Et elle rejoint les autres, et les cheveux noirs se mêlent aux autres, aux cheveux auburn. Et l'espoir se crève lui-même parce qu'il n'y a plus rien à espérer, il suffit de se taire et d'attendre, attendre patiemment le froid, attendre patiemment la faim ; il faut que tout se termine. Prendre, juste, juste son mal en patience ; quelques minutes, quelques minutes en plus et tout sera fini, enfin, sorte d'ultime délivrance. Après, ce sera le noir, après ce sera le vide. Mais la peur, non, la peur plus jamais. Ce sera fini, tout à fait terminé. Pas de retour en arrière, rien. Ne pleure pas, Severus, tu n'es plus un enfant. Prend un morceau de chocolat, il suffit d'attendre, quelques instants encore. D'attendre un baiser. Juste un dernier baiser, et tu seras en paix.
Si tu devais rencontrer un épouvantard
Alors, Severus ? Tu ne réponds pas ? C'est facile, de s'esquiver, mais tu ne trompes personne. Même toi, tu ne crois pas en tes propres mensonges. Même toi, tu ne sais plus comment faire pour te persuader. Parce que tu as peur, tu as toujours eu peur. Des terreurs affreuses, déjà, dans ton lit de môme décharné. Tu te réveillais, ça sentait salement l'urine. Alors il fallait tout nettoyer avant que papa Tobias se rende compte de quoique ce soit. Fallait effacer au savon les traces de tes frayeurs de môme. Mais le pire, ce n'était pas de te réveiller en sueur, c'était de savoir que demain, ce serait pareil. De savoir que le trop-sombre serait toujours là pour t'enserrer les tripes, que tu le souhaites ou non, que tu implores Merlin ou quelques autres dieux en lesquels tu ne crois pas. Il fat sombre, bien trop sombre pour ne pas crever d'effroi.
En grandissant ça ne s'arrange pas, bien sûr, parce que rien ne s'arrange en grandissant. Les monstres sous ton lit, ceux qui te susurraient un peu de frayeur à l'oreille du gamin que tu étais, ils se sont tous déplacés vers ton en-dedans à l'arrivée à Poudlard, parce que tout de même, il n'aurait pas fallu te laisser partir seul. Oh, non, gamin, les cauchemars t'accompagnent. Mais chut, chut, surtout, ne dis jamais, ne dis à personne de quoi tu as peur.
Parce que tous, tous ils sauraient s'en servir contre toi. Ne dis pas que tu as peur de l’eau, du vent, du noir, du beurre, du sang, de la souffrance, des ongles cassés, des ongles qui crissent sur le tableau, des fermetures éclairs, des cheveux qui tombent, de la politique, du vide, du feu, des enfants, des adultes, des fleurs fanées, des roses rouges, des révolutions, de l’encre qui s’efface, des araignées, des insectes, du brouillard, de vieillir et de mourir, de rester toujours le même, de la pluie, des gens que tu ne connais pas, de ceux qui me connaissent, de l’oubli, des rides, des serpents, des crevasses, des obstacles, des tueurs en série, de ce qui coupe, de l’argent, des clowns, des départs et des retours, de la foule. De la solitude. Et de quelques autres choses, aussi. Des ombres. Surtout des ombres.
Fais le silence Severus, ou de tout cela ils se serviront pour tordre tout se qui se cache au creux de ton crane. Reste impassible, reste le plus neutre possible. Ton immobilité te sauve. Te sauvera. Ils ne verront rien d'autre qu'un pantin aux sentiments désarticulés, mal monté pour comprendre ce qu'est le ressenti. Ils ne chercheront pas plus loin. Ils ne vont jamais très loin, c'est bien trop fatigant pour eux. Ce qu'ils aiment, c'est la surface. Et ta surface à toi ne leur dit rien d'autre que ce qu'ils souhaitent y lire.
Finalement, de toi, ils ne sauront rien d'autre que ce que tu seras incapable de cacher. Le sang. Le sang sur tes mains. Le sang de Lily Evans.
Si tu étais devant le Miroir du Risèd
Tu plisses les yeux, incertain. Tu sais ce que tu veux voir ; tu ne sais pas ce que tu vas voir. Un instant, un instant minuscule, très court - peut-être même pas un instant, finalement - tu oses croire que tu n'y verras rien. Qu'il n'est pas nécessaire que ton reflet s'efforce à te sourire quand toi-même tu ne le ferais pas. Tu le sais bien, que de te voir heureux, ça ne te fera jamais de bien. Qu'il n'est rien qui te sauvera de ta nuit un peu trop noire (celle où les étoiles pleurent des larmes trop mouillées qu'on ne leur demande pas). Que les rêves n'ont de valeur que pour ceux qui sont assez sots pour y croire. Que la réalité, elle, la tienne tout du moins, tend plus aisément à forniquer avec les cauchemars. Que le vice de ta réalité te colle irrémédiablement à la peau, que tu en transpire, de ce vice, que tu le respire et qu'il coule dans chaque veine, le long de chaque nerf (c'est cela, la souffrance?), qu'il s'amuse à courir dans tes intestins, entre tes tripes, dans ton crane. Au fond tu le sais, l'autre con l'avait dit, et longtemps avant toi : il n'y a pas d'amour heureux.
Alors pourquoi, pourtant, cet infime sentiment ? Celui qui te pousse à croire que pour un instant, pour instant seulement, tu saurais faire semblant d'être heureux. Peut-être même, indéniable folie, l'esquisse d'un sourire pour torturer tes traits. Il te suffit d'un rien, tu ne le sais que trop bien. Relever la tête, rien qu'un peu. Juste les yeux, même, si l'effort est insurmontable. Pour la voir sourire, Severus. Tu en as trop envie. Pour voir cette gamine à qui tu tenais la main, jadis, quand le monde se limitait à elle et toi dans un jardin public et qu'elle, elle volait, quand toi tu faisais éclore des fleurs pour les lui offrir quand elle ratterrirai. Tu savais rire, alors, et elle elle savait vivre. Tu as la sensation de pouvoir te souvenir encore de ce que c'était que de tenir sa main dans la tienne, que de regarder ses yeux un peu trop longtemps. Parfois, tu t'en voulais de laisser maman seule trop longtemps, mais tu savais bien que maman te pardonnait parce qu'alors tu étais heureux.
Et tu les vois, ces deux mômes, qui courent main dans la main. Et tu veux sourire mais tu n'y parviens pas parce que tu ne sais plus être dupe de rien Ce serait si simple, si simple que de s'asseoir devant un vieux miroir de sorcier un peu fou et de croire toute cette merde, toute cette poudre aux yeux. Il n'y a pas le moindre sourire à donner. Pas de larmes, non plus. Rien, rien que du rien, comme tu le fais depuis quinze ans, parce que tout cela, c'est de ta faute et qu'il n'y a plus personne pour te pardonner, et surtout pas toi-même. Détourne donc les yeux de ce miroir obscène.
Si tu étais Ministre de la Magie
A une époque, tu en as rêvé, oui. De cela, tout comme de tout ce qui pouvait alors t'apporter un semblant de reconnaissance. Tu espérais encore, alors, pouvoir voir briller une étincelle d'admiration dans l’œil de ces sorciers des rues que tu croisais. Ceux qui ne te reconnaissaient pas. Ceux qui ne te regardaient pas. Ou avec dégoût, du fait de tes cheveux trop gras, de ton nez proéminent et de tes vêtements miteux. A une époque, à vrai dire, c'était tout ce que tu souhaitais. Que les gens te remarquent enfin, qu'ils aient conscience de tes capacités, grandes, immenses, bien plus que les leurs, tous ces merdeux éparpillés dans les rues sombres d'allées sorcières peu recommandables.
Et puis les temps ont changé, et tu as changé avec eux. La gloire, la reconnaissance, toutes ces choses absurdes n'ont plus grand chose d'autre qu'un arrière-goût d'échec que tu ne cherches plus à éviter. Severus Rogue a joué, et il a perdu, et il a perdu plus que ce qu'il pensait jamais pouvoir perdre. Échec et mat. Sans la moindre seconde chance. Alors aujourd'hui, être Ministre de la Magie, pour toi, ce serait plus un mauvais canular, où une sorte d'ironie du sort. Comme donner des friandises à un vieillard qui n'a plus les dents pour les manger. Et qui, de toute façon, ne les mériterait pas.
Alors bien sûr, tu pourrais en profiter. Tu en as l'intelligence, le pouvoir. Manipuler les foules, les sorciers des sombres rues, ce n'est pas ce qu'il y a de plus dur. Oh, oui ! tu pourrais aisément en profiter au dépend du plus grand nombre, contre le plus grand bien. Mais au final, qu'y gagnerais-tu, si ce n'est l'assurance d'un retour dans le temps absurde, inutile ? Ministre de la Magie ou non, à te regarder dans un miroir, tu ne verras jamais rien d'autre que le reflet du petit Severus miteux qui n'a jamais su faire rien d'autre qu'espérer ce qui n'arrive jamais. Le pouvoir politique sur la communauté magique ne te rendrait pas heureux et tu le sais très bien. Tu imagines ? Les photos de ces attardés incapables de poser deux questions intéressantes de suite et qui osent se prétendre journaliste, l'attention des badauds rivée sur toi au moindre déplacement. La nécessité de s'intéresser au bien-être des autres avant le tien, ou au moins faire semblant de cela, tout du moins pour faire bonne figure...L'absurdité de la situation pourrait presque t'arracher un sourire. Rien de bon ne provient de toi et tu ne le sais que trop bien. Rien de bon, que ce soit pour toi ou pour ceux qui t'entourent. Un ridicule statut n'y changerait rien.
Non, il est meilleur, bien meilleur de se retirer dans un sombre cachots dans l'espoir incertain que la valse délicate entre de l'asphodèle et de la poudre de mandragore, le tout dans un immense chaudron d'étain, avec l'attention qu'un maître des potions, seul, a jamais été capable de donner, pourra donner le plus savoureux des poisons pour se débarrasser de l'actuel ministre.
Si tu devais raconter une anecdote importante
Il n'est d'anecdote à ton sujet que ce que ta vie a subi de plus important. Le reste n'a d'intérêt qu'à être oublié. Ta mémoire n'est là que pour ce qui présente un soupçon d'utilité. L'anecdote n'est, par définition, pas utile. Pour le reste, ça ne concerne que toi.
Si tu parlais de tes rapports avec les autres
C'est amusant, comme question. Tu ne trouves pas ? Et bien, comment dire... Ce n'est pas - ps tout à fait - que tu n'aimes pas les gens, que tu les exècres, que leur présence est un fardeau que tu ne daignes supporter que s'il n'est d'autre possibilité. Mais enfin, ce n'en est tout de même pas loin. Alter. Par principe, ce n'est pas toi, donc par principe, c'est terriblement inquiétant, parce que tu ne peux rien en contrôler. Et tu n'aimes pas ça, non. Cette liberté que l'autre a d'agir comme bon lui semble, sous prétexte qu'il est autre, autre que toi.
Le défaut propre et intrinsèque de ce qu'ils appellent la « relation » pourrait s'arrêter ici. C'est déjà beaucoup, mais il y aurait tout de même du supportable à en tirer. Or non. Il s'avère en plus de cela que ces autres, tous ces autres qui ne sont pas toi, prennent semble-t-il un bien malin plaisir à brailler à tout va d'incommensurables absurdités à l'inutilité palpable, afin de paraître... Agréable, empathique. Des mots qu'ils se plaisent à utiliser dans les détours dérisoires de leurs conversations mondaines. N'ont-ils rien pour leur permettre d'apprécier ce que le silence a de plus doux ? Finalement, ce n'est même pas que tu t'en gausses et que tu ne daignes pas les comprendre. C'est tout simplement que tu n'y parviens pas. Quelques uns tendent à relever légèrement, très légèrement le niveau, lorsqu'ils se concentrent pour y parvenir. Parfois, il est agréable, dans le sombre d'un couloir, de discuter quelques instants avec Albus, avec Minerva. Même Filius, parfois, sait retenir ton attention
Enfin, il y a les « jeunes ». Les étudiants, les élèves de Poudlard. Ceux-ci sont... abjectes...! Sûrement y a-t-il deux ou trois autres adjectifs pour qualifier ces vauriens minables incapables de faire preuve d'un peu de jugeote, d'un peu de sens critique. Mais certainement ne valent-ils pas assez pour consacrer ne serait-ce qu'un instant à les trouver -les chercher. Tu ne vaux sûrement pas beaucoup mieux qu'eux, oh non ! enfermé dans cette école depuis un nombre d'années qu'il est désormais douloureux de calculer ; enseignant raté qui n'a pour seul mérite que de maitriser son sujet avec un talent qu'aucun de ces abrutis n'atteindra jamais. Cependant, quand bien même tu ne vaux pas mieux qu'eux, il t'est plaisant, parfois, de te souvenir que toi, au moins, tu n'as jamais eu cette dégaine minable ni ce critique manque d'un soupçon d'intelligence dont ils semblent tous affublés, sans distinction aucune.
Comment pouvoir souhaiter se rapprocher des autres, après cela ? Ce n'est pas que tu ne veux pas, finalement. C'est certainement qu'ils ne le méritent. Ou bien, c'est ce côté un peu acerbe, ironique, qui doit leur déplaire quelque peu. S'ils savaient, s'ils savaient pourtant. Qu'au fond des deux yeux noirs du méchant professeur de potions, l y a pu y avoir, à quelques reprises, un semblant de passion, pour deux ou trois choses, qui le méritaient plus ou moins. Mais on. Parce qu'ils ont peur, bien trop peur de ce qu'ils ne comprennent pas pour s'y attarder. Qu'importe.
Autre chose à ajouter te concernant ?
→ Occlumens et legilimens.
→ Tu lis un peu trop pour ton propre bien.
→ Tu n'aimes pas grand chose, mais le whisky et un feu de cheminée, ça, tu as du mal à y résister.
→ Tu ne bois jamais de thé, que du café.
→ Tu as une mauvaise vue, alors tu portes des lentilles de contact. Lunettes et vapeurs de potions font mauvais ménage.
→ Tu préfères les potions à la défense contre les forces du mal, mais enseigner les potions à des imbéciles qui n'en saisissent pas la grâce t'exècre assez pour que tu souhaites changer de poste.
→ Mangemort à tes heures perdues.
→ Tu aimes les bons mots, ceux acerbes, ceux qui piquent un peu dans le fond de l'oreille.
→ Et d'autres choses, encore. Sans grande importance, certainement.