Lorsqu'America souleva son t-shirt jusqu'à découvrir son soutien-gorge, Enska s'arrêta soudainement de rire. Hein? se demanda-t-elle intérieurement. Si elle avait été plus lucide, elle lui aurait certainement demandé ce qu'elle comptait fabriquer. Et puis, quand America se mit à tortiller ses petits bourrelets, Enska fixa le ventre nu de son amie. Captivée, comme hypnotisée, la bouche d'Enska s'ouvrit sans qu'elle ne la contrôle. Ce fut America qui la tira de son hébétude en lui écrasant littéralement le visage de ses deux mains moites. Enska cligna des yeux et tenta d'ancrer son regard dans celui d'America, mais elle voyait flou et la tâche s'avéra particulièrement ardue. Alors, à défaut, l'Islandaise se contenta d'observer les lèvres de son amie bouger pendant qu'elle parlait. Etait-elle en train de lui exposer son plan? Peut-être, mais l'esprit d'Enska se noyait sous une mer d'alcool et sa capacité de concentration était déjà loin de la surface. Néanmoins soucieuse de ne pas vexer son amie, elle hocha la tête en s'efforçant de sourire. Elle n'avait pourtant pas saisi le moindre mot qu'America avait pu prononcer.
Enska vacilla en avant quand America, sur qui elle s'était appuyée sans s'en rendre compte, se leva en manquant, elle aussi de chuter. Un voile trouble brouillant toujours sa vue, Enska suivi les mouvements d'America tandis que sa tête reposait mollement sur le coin du lit de cette dernière. Le visage d'Enska s'éclaira lorsque son amie la força à se mettre sur pieds en lui annonçant qu'elles allaient prendre l'air (et faire pipi) dans le parc. Pleine d'enthousiasme, Enska dosa mal son élan et se cogna contre son propre lit avant de retrouver son équilibre et de pouvoir suivre America, qui franchissait déjà la porte de leur dortoir. Pressant le pas, elle rattrapa son amie et glissa son bras sous celui d'America ; elle avait ainsi l'impression d'arriver à marcher plus droit.
Heureusement pour elles, la salle commune était presque déserte et Enska parvint à feindre une sobriété toute relative. Elle tint à traverser la pièce avec le menton en l'air et le dos bien droit, pensant ainsi préserver son air digne habituel devant les deux, trois personnes qui étaient vautrées sur les fauteuils, devant la cheminée.
Lorsqu'elles franchirent le passage secret et débouchèrent sur le couloir sombre des cachots, Enska prit America par la main et accéléra encore un peu plus leur allure.

- Viiiite, j'dois faire pipi ! la pressa-t-elle.

Puis, n'y tenant plus, Enska renonça définitivement à toute décence. Elle lâcha la main d'America et se mit à courir en grimaçant et en serrant les jambes pour s'aider à retenir son envie pressante. Mais, arrivée dans les escaliers qui les mèneraient au Grand Hall, Enska trébucha et tomba. Elle amortit sa chute de justesse de ses mains ouvertes qui s'appuyèrent sur une marche plus haute. Cependant, la force de ses bras quitta Enska et elle se laissa aller contre la pierre froide en roulant sur le dos. Un long hurlement aigu sortit de sa bouche et elle commença à rire à gorge déployée, se couvrant le visage de ses deux mains. De grosses larmes roulaient sur ses joues et elle frappait le sol de ses pieds. Elle allait probablement ameuter tout le château. Et sa vessie ne tarderait pas à déborder.

En temps normal elle se serait terriblement inquiétée de la chute d'Enska qui était plutôt sensationnelle. Paf, à plat sur les marches. Heureusement qu'elle s'était rattrapée avec les mains, putain, sinon elle aurait plus de visage à l'heure actuelle. Enfin bref, elle était plutôt terrifiée par le hululement de bête blessée qui servait de rire à cette immonde créature. Elle allait rameuter tout le château, le plan allait foirer, et jamais elle n'aurait le plaisir de voir Nott se faire frapper par une petite branche en colère. Elle allait devoir le frapper à la main. Ce qui n'était pas si mal en fin de compte, mais moins original.

« NON ENSKA ! Dans le parc on a dit espèce de grosse dégueulasse ! »

Et de peur que son amie s'oublie sur les marches, elle se précipita sur elle et la secoua dans tous les sens, ce qui était pas très sain pour sa vessie en réalité. Mais dans l'état où elle se trouvait, ça ressemblait à une bonne idée. Voire, une excellente idée.

« Retiens toi ! Re-tiens toi ! On fait pas pipi dans les escaliers c'est dans le reg-reglement intérieur chui sûre. »

Bordel de merde, c'était une préfète ou quoi ! Quand on est préfète on se retient de pisser partout, America était au moins sure de ça. Même si elle n'était plus sure de grand chose. Par exemple elle n'était plus trop sure d'où se trouvait la sortie, ni de combien faisaient cinq et sept, et elle commençait même à se demander si Ombrage était vraiment une femme et non un petit troll des montagnes. Elle sortit de cette méditation existentielle pour remettre Enska sur ses jambes sans trop de délicatesse, parce que oh ça suffit maintenant les enfantillages, elles avaient un plan ou quoi.

Elle traîna donc son amie tant bien que mal à travers les couloirs, à grand renforts de « chhhhhhuuuuutttttt » et de « retiens toi retiens toi retiens toi ». A vrai dire, America n'avait pas ingéré beaucoup moins d'alcool qu'Enska, mais elle tenait vachement mieux sur ses jambes. Meilleur équilibre, sans doute. Son cerveau en revanche était pas mal embrumé. Elle commença par vouloir passer par la grande porte, avant de se rappeler qu'elles étaient en mission furtive. Elle entreprit donc de faire passer Enska par une fenetre (« retiens toi retiens toi »), avant de sortir à son tour tant bien que mal.
Il faisait nuit trop tot, à cette période de l'année. America grogna qu'on y voyait rien, sans penser à utiliser la baguette qui dépassait de sa poche. Trop conne.

« Allez, direction saule cogneur ! »

Nott l'aurait mérité, son coup de branche.
Elle continua à trainer une Enska vacillante, plus déterminée que jamais, avant d'arriver à une distance respectable du saule qui frémissait dans le vent.

« Bon, t'as qu'à faire pipi au pied de l'arbre. »

Elle ne voyait vraiment aucune faille dans son plan.

Enska ne cessa de rire que lorsqu'America arrêta de la secouer, avant cela, l'islandaise s'était laissée balloter de gauche à droit, d'avant en arrière tout en ricanant bruyamment.

- Oui ! Oui. C'est... c'est dans le rèlguement, tout... tout à fait ! bafouilla-t-elle.

Enska s'appuyait sur l'une de ses mains, tandis que l'autre s'était agrippé au t-shirt d'America, et elle tentait vainement de se relever. Son amie, cependant, ne semblait pas remarquer ses efforts et, du point de vue d'Enska, une éternité s'était écoulée avant que White ne se décide enfin à lui donner un coup de main.

- C'pas trop tôt ! maugréa-t-elle en se rattrapant aux épaules d'America, qui l'avait remise un peu trop brusquement sur ses pieds.

La montée des marches restantes s'avéra compliquée pour Enska. Elle redoutait de chuter à nouveau et exigeait d'America qu'elle l'attende, car elle n'irait pas plus vite qu'à raison d'une marche par minute. White avait beau la tirer, Enska ne bougeait pas.
Quand, enfin, elles parvinrent au Grand Hall, ce fut tout naturellement qu'Enska se dirigea vers la Grande Porte.

- Wooow... c'est... GRAND ! cria-t-elle soudainement.

Enska n'avait jamais remarqué à quel point les plafonds étaient hauts, dans ce château. Oui, ils étaient immenses, surtout lorsqu'on était accroupie. Et les sons résonnaient particulièrement bien, quand l'endroit était désert ; ce détail n'avait pas échappé à la blonde qui, alors qu'elle se relevait, se mit à chantonner une chanson de Célestina Moldubec que Bill lui mettait constamment en tête.
Leur mission furtive allait être définitivement corrompue alors qu'Enska haussait progressivement le ton mais, heureusement pour elles, America revint la mettre dans le droit chemin pour la faire sortir...

- Par la fenêtre? Mais t'es pas bien Merry chat? Je vais au moins me briser trois jambes et deux bras !

Enska se laissa pourtant hisser jusqu'au rebord de la fenêtre et s'y allongea avant de se laisser lourdement retomber de l'autre côté. Sa chute fut amortie par un minuscule buisson, qui semblait davantage être là par hasard que pour embellir le paysage. Elle se roula sur le côté et, allongée de tout son long à plat ventre, elle attendit qu'America atterrisse à son tour. L'herbe était agréablement fraîche, contre son visage brûlant.
Lorsqu'America sortit, pleine de grâce et tout en délicatesse, en râlant qu'on y voyait rien, Enska releva la tête.

- Ha ! Heureusement que j'suis là ! dit-elle, le regard fou.

Elle fouilla l'intérieur de la manche de sa robe de sorcière et y dénicha sa baguette magique. Elle la pointa vers le petit buisson sur lequel elle était tombée et la plante se déracina pour léviter à deux mètres du sol.

- Flambios !

Et le buisson prit feu, illuminant les deux demoiselles d'une jolie couleur orangée, réchauffant encore leurs teints déjà rougeâtres. La discrétion incarnée. Enska, ravie, suivit America qui était déjà partie en direction du Saule Cogneur. Elle frémit en même temps que l'arbre et lâcha un gros soupir.

- C'qu'il est beau, Ame ! J'aimerais tellement habiter dedans ! Construire une cabane dessus !

Enska, l'air rêveur, comme hypnotisée, ne pouvait détacher son regard des branches qui s'agitaient. Derrière elle, le buisson continuait de flamber. Et soudain, elle écarquilla les yeux : America venait de lui rappeler qu'elle devait faire pipi !

- Je tiens à ma vie, miss White ! Non ! Je vais plutôt aller faire pipi...

Enska détourna les talons et se mit à courir, le rire montait dans sa gorge.

- ... DANS LE LAC ! cria-t-elle.

Il lui restait une longue distance à parcourir et, bien qu'elle courrait, cela lui semblait interminable. Son petit buisson enflammé volait toujours derrière elle, calant son allure sur celle de la jeune fille. Pendant sa course, Enska perdit ses chaussures. Mais peu importait, qui avait besoin de chaussures pour aller se baigner?
Au bout d'un moment qui lui parut extrêmement long, elle s'immergea enfin dans l'eau. Enfin, elle trébucha sur un caillou et tomba dans le lac tête la première.

- AAaaaaaammmeeeeeerrrrrriiiiiiiiiicaaaaaaa ! appela-t-elle en riant. Tu viens te baigner??

Enska dut plonger la tête sous l'eau pour étouffer son rire. America avait peur de l'eau et elle en était parfaitement consciente.